Horace Vernet au château de Versailles

Issu d’une importante famille de peintres ayant marqué la fin de l’Ancien Régime et l’Empire, Horace Vernet (1789-1863) est à l’honneur jusqu’au 17 mars dans une très intéressante exposition du château de Versailles. Elle revient de manière pédagogique et claire sur la carrière d’un peintre majeur du XIXe siècle, surtout connu pour sa peinture d’histoire. Très populaire en son temps, Vernet est pourtant rapidement passé de mode après le Second Empire et a été, en dehors de quelques cercles érudits, bien oublié par la suite. En effet, malgré des ambiguïtés politiques bien restituées dans le parcours, il aura glorifié à la fois Napoléon, la monarchie de Juillet et ses campagnes coloniales. Si la Troisième République ne les a pas abandonnées, loin de là, elle n’a en revanche pas insisté sur les artistes ayant travaillé pour les régimes monarchiques l’ayant précédée. Par la suite, la décolonisation et la prise de conscience qui l’a accompagnée a grandement ringardisé un peintre qui en aura restitué de manière propagandiste les débuts.

Un homme difficile à catégoriser

Toutefois, l’heure était venue pour le replacer dans son contexte et expliquer l’importance qu’il a eue en son temps, ainsi que les raisons de celle-ci. Pour ce faire, l’exposition adopte un parcours très bien réalisé, à la fois chronologique et thématique. On regrettera juste qu’il faille se mouvoir parmi la foule d’une partie des collections permanentes avant de parvenir au début de l’exposition. Une fois arrivés au bon endroit, les prémisses de sa carrière nous attendent. Son environnement familial (le grand père Joseph, le père Carle) sont évoqués, ses premiers tableaux et son arrivée à la peinture d’histoire aussi. Ses toiles évoquant les batailles de la fin de l’Empire mais aussi les grands personnages de la Restauration se trouvent ainsi à l’honneur et bien présentés. Rien n’est masqué de la difficulté à politiquement classer le personnage, qui peint les Bourbons tout en s’en moquant, qui se lie à Louis-Philippe tout en appréciant l’arrivée de la IIe République en 1848, avant, vieillissant, de bénéficier de largesses sous le Second Empire. Vernet est en somme caractéristique de bien des artistes de cette époque, ayant travaillé sous de nombreux régimes, comme François Gérard.

Le peintre de la conquête de l’Algérie

Le cœur de l’exposition reste pourtant consacré à la peinture des expéditions outre-mer de la monarchie de Juillet ainsi que de ses conquêtes coloniales. En effet, Vernet est l’un des peintres favoris de Louis-Philippe, qui lui confie également plusieurs tableaux de la galerie des batailles. Son succès est aussi dû au fait qu’il peint vite, se déplace sur le terrain, recueille des témoignages, conduisant à une précision redoutable. Multipliant les commandes de l’État, il donne une œuvre à la fois prolifique et monumentale de cette entreprise coloniale et mémorielle (récupérer la gloire de Napoléon) que le roi souhaite voir être portée à son crédit.

Le grand mérite de cette manifestation culturelle est de l’expliquer très sobrement et d’avoir rouvert les salles dites d’Afrique du château, qui contiennent l’essentiel des tableaux en question. Outre des tableaux consacrés à l’expédition du Mexique de 1838, on y trouve parmi les toiles les plus vastes du siècle : La prise de la Smala fait ainsi près de 5 mètres de hauteur pour 21 de longueur ! Si les scènes représentées sont à nos yeux effroyables, on est frappé par le caractère massif, imposant, précis et vivant des œuvres exposées. Le choc en entrant dans les salles est réel. L’historien que je suis est d’ailleurs, à titre personnel, satisfait que cette partie du château soit à nouveau accessible au public, non pas pour glorifier un passé douloureux, mais pour l’expliquer et comprendre comment il a pu se mettre en place. Ainsi, Versailles est à bien des égards un palais du XIXe (et du XXe) siècle, ce qu’on a tendance à oublier. On en prend davantage conscience en ressortant de la visite, qui se termine avec des toiles au thème plus religieux, le peintre ayant connu un retour vers la foi à la fin de sa vie.

En somme, un excellent travail muséographique. Ceci dit, on regrettera juste que le catalogue de l’exposition soit presque entièrement tourné vers une histoire de l’art qui oublie l’histoire tout court, ce que ne font heureusement pas les intéressants cartels ni l‘excellent numéro spécial des Dossiers de l’art qui revient sur le peintre. À voir pour quelques jours encore !

Photos de l’auteur (22 février 2024). On excusera les inévitables reflets.

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