Chroniques de l’historien au travail n° 2 : le colloque

Une maladie ?

En 1993, le grand historien médiéviste Jacques Le Goff dénonçait l’abondance de colloques en sciences humaines et sociales, usant d’une métaphore médicale remarquée, en créant le néologisme « colloquite » (1). Trop nombreux, pas toujours très cohérents, ils ne seraient que des dérivatifs à des recherches et des financements plus pérennes, des moments de sociabilité à peu de frais, des occasions pour les chercheurs de se débarrasser de travaux dont on ne voudrait pas ailleurs, etc. Dans ce billet-chronique, je ne chercherai pas à creuser ces aspects déjà bien détaillés par ailleurs (2), et qui mériteraient beaucoup d’encre, sans être forcément utiles au public qui fréquente ce site. Il s’agit plutôt ici de présenter l’exercice pour le rendre compréhensible au lecteur, avec ses limites, mais aussi ses intérêts. Le tout agrémenté d’exemples ancrés dans ma propre pratique. Si celle-ci ne représente que mon expérience, elle pourra servir aux étudiants qui passent par là.

Essai de caractérisation

Pour commencer, rappelons de quoi il s’agit, le mot étant polysémique. Dans ce cas-là, nous parlons de la réunion de spécialistes en nombre plus ou moins limité convoqués pour discuter et confronter leurs informations et leurs opinions sur un thème ou un domaine donné (CNRTL). De forme et de taille très variées, les colloques sont généralement lancés sur appel à candidature par des chercheurs d’une ou plusieurs universités ou centres de recherche (CNRS…), avec un thème précis et un comité scientifique, qui évalue et sélectionne les propositions envoyées. Nés de préoccupations de chercheurs, ils veulent faire émerger des aspects encore peu connus d’une question à traiter, ou commencer à défricher de nouveaux terrains. Dans d’autres cas, ils sont lancés à l’initiative d’une institution, comme une assemblée, un musée ou une bibliothèque, pour attirer l’attention sur un point de son histoire ou pour répondre à une date commémorative. Ces derniers sont plus largement médiatisés, attirent un public qui dépasse le strict cadre universitaire et sont surtout faits pour permettre à l’organisateur de rayonner, ce qui ne veut pas dire que rien de bon n’en sort, cette phrase étant plus une remarque qu’une critique négative.

Les premiers sont plus confidentiels, mais peut-être plus riches en termes de nouveautés scientifiques. Certes, vues de l’extérieur, les thématiques traitées peuvent prêter à sourire, tant elles semblent précises, voire tirées par les cheveux. Comment des gens peuvent-ils se passionner pour ce qui apparaît comme de menus détails ? Vraiment, ils sont payés à discuter de cela ? En fait, il ne faudrait pas se leurrer. Avant de communiquer, le travail de préparation est souvent conséquent ; après, la mise aux normes pour la publication, s’il y en a une, l’est tout autant. De plus, les colloques universitaires, autour de sujets très pointus, sont avant tout réservés à un public d’experts, c’est donc normal qu’ils paraissent abscons vus du dehors. En fait, ils répondent avant tout à des préoccupations de spécialistes, parfois nées de discussions autour d’une table, dans un cours avec des étudiants, après une lecture. Ils servent à faire émerger des questionnements nouveaux auxquels la communauté scientifique n’avait pas pensé et qui permettent de relire ses propres recherches et celles des autres à l’aune de ces angles de vue inédits. Si certaines rencontres sont en effet disparates et d’un seul tenant, d’autres permettent de poursuivre la réflexion sur plusieurs années et/ou donnent de belles publications, qui génèrent à leur tour des recherches. C’est ainsi grâce au colloque Le grand exil des congrégations religieuses françaises (1901-1914) dont les Actes ont été publiés en 2005 au Cerf que j’ai trouvé mon propre sujet de thèse, jusque-là objet d’un court article qui indiquait qu’il y avait une vraie recherche à entreprendre.

Exemple d’Actes d’un colloque de 1984 sur l’histoire de la sécurité sociale. Source, Gallica.

Un rite de passage

De plus, ces moments sont aussi l’occasion pour les professionnels de se retrouver et de confronter leurs idées, mais également d’échanger de manière plus large et de se donner des pistes. C’est ainsi que j’ai été aiguillé vers des archives que je ne connaissais pas, en 2016 à Arlon, et qui ont été primordiales dans mon doctorat. Plus largement, le métier d’historien étant très solitaire pour ce qui concerne les recherches en archives, exposer ses trouvailles et en discuter permet de vaincre en partie la solitude et de rencontrer ses collègues souvent géographiquement très dispersés autour de thématiques communes. Bien des liens intellectuels et professionnels se nouent pendant les échanges formels comme informels, même à l’heure du numérique. Il y a aussi un côté « rite de passage » certain. Plus d’un doctorant comme d’un chercheur confirmé pourrait commenter ce billet en témoignant de sa première intervention devant ses pairs et futurs pairs, moments de joie comme de trac, où se mêlent la fierté de défendre ses travaux et théories et la crainte des questions difficiles de l’assistance !

Finalement, il y va du colloque comme du reste. À chaque historien de sélectionner ceux qui lui semblent pertinents, tant dans le contenu que dans les suites à donner, tout en sachant que, tôt ou tard, communiquer ses recherches est une étape obligée, à la fois pour progresser par la critique, mais aussi pour les rendre accessibles. Par la suite, bien des informations données dans ces manifestations qui restent pleinement utiles se retrouvent dans des articles spécialisés, ainsi que des ouvrages plus généraux.

Références

(1) Jacques LE GOFF, « Une maladie scientifique : la colloquite », dans AIAC News. Bollettino informativo dell’Associazione Internazionale di Archeologia Classica (n° 2, Settembre 1994) et Sciences de l’Homme et de la Société. Lettre du département SHS du CNRS, 32, décembre 1993.

(2) Christophe CHARLE, « L’organisation de la recherche en sciences sociales en France depuis 1945 : bref bilan historique et critique. L’organisation de la recherche en France », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 55-4, no. 5, 2008, p. 80-97.   

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