La guerre d’indépendance belge

Introduction

La révolution belge de 1830 ne signifie pas l’indépendance pleine et entière. Les événements y conduisant dépassent largement le cadre de cette année. Un précédent article avait été l’occasion de rappeler celle-ci et de terminer sur l’ouverture de la conférence de Londres devant régler la question belge. Toutefois, l’échec partiel des négociations et le mauvais vouloir néerlandais conduisent à une véritable guerre d’indépendance à laquelle participent de loin ou de près des pays tiers comme la France.

I) Les conséquences de la conférence de Londres

A) Les négociations

Au départ, les pourparlers progressent assez vite à Londres. Le simple fait de se réunir pour parler de la Belgique, de trêve des combats et de ligne de démarcation à respecter lors de celle-ci suggère que l’indépendance est déjà officieusement sur la table. Guillaume Ier le sent bien et est rapidement isolé. Dès la fin novembre, le principe de la séparation entre les Pays-Bas et la Belgique est d’ailleurs admis, ce qui est officialisé dans un texte du 20 janvier 1831, les Bases de la séparation.

Toutefois, les différends territoriaux demeurent importants. Les négociateurs belges lorgnent vers le Limbourg néerlandais où la ville de Maastricht est d’importance stratégique, ainsi que vers le Luxembourg, à l’époque propriété personnelle du roi des Pays-Bas et pas encore un grand-duché indépendant. Ces appétits et des événements ultérieurs (annexion d’Eupen et de Malmedy) rappellent que la Belgique elle aussi a connu des poussées de fièvre expansionniste, même si l’échelle est différente d’autres pays. Côté politique, les parties en présence s’accordent sur une forme de gouvernement monarchique. Certes, quelques orateurs se sont élevés pour la République en Belgique même. Toutefois, cette solution ne paraît pas réaliste et les puissances réunies à Londres étant elles-mêmes des monarchies, on les verrait mal favoriser l’émergence d’une République qui rappellerait trop la Révolution française.

La question du chef du futur État belge est à ce sujet débattue : qui mettre sur le trône ? Les figures pressenties se succèdent : les Britanniques seraient partants pour garder une forme d’union personnelle avec la famille d’Orange, la France pousse l’un des fils de Louis-Philippe en avant, accepté par les Belges mais rejeté par les autres, surtout Londres qui craint la main de Paris. Finalement, c’est Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha qui monte sur le trône belge.

B) L’arrivée de Léopold Ier

C’est un candidat de compromis. Issu d’une petite maison allemande promise à un bel avenir, comme le prouve la future reine Victoria, sa nièce, il est jeune veuf d’une altesse britannique, la princesse Charlotte. Disponible, bon connaisseur du système politique de Westminster, et des réalités européennes, il a l’avantage de ne pas être un « chiffon rouge » agité entre France et Royaume-Uni, même s’il apparaît comme une créature de Londres aux yeux de la monarchie de Juillet. Pourtant, ce personnage ne manque pas d’indépendance d’esprit. Il accepte de devenir roi, à condition de régler la question territoriale entre Belgique et Pays-Bas avant de monter sur le trône. Réaliste, il craint un conflit entre les deux pays à une brève échéance et ne souhaite pas être propulsé à la tête d’un État mort-né.

Après de difficiles négociations avec le cabinet britannique qui finit par l’appuyer, il n’obtient finalement pas que ce soit le cas, mais arrache la possibilité que la question du Luxembourg soit à nouveau soulevée une fois monté sur le trône. Finalement, le 4 juin 1831, après acceptation des négociateurs belges, il est choisi comme souverain. Il est impossible de savoir ce qui se serait passé si une autre solution avait été suivie, mais souvenons-nous que certains modérés avaient été précédemment prêts à accepter une forme d’autonomie et de présence de la maison d’Orange.

II) La reprise des combats

A) Guillaume Ier se résout à la guerre

Très rapidement, les craintes de Léopold s’avèrent fondées car Guillaume Ier, qui se sent dépossédé de son territoire et lâché par les Britanniques, décide de recourir à nouveau à la force. Les litiges territoriaux avaient constitué, souvenons-nous, une pierre d’achoppement des pourparlers de la conférence et le sort de nombreux territoires reste encore en suspens début 1831. Or, les dernières négociations attribuent à la Belgique le Luxembourg et le Limbourg néerlandais.

Le monarque ne saurait l’accepter : il est personnellement possesseur du Grand-Duché, dont le territoire est plus grand que l’actuel. Il comprend notamment des régions romanes qui forment aujourd’hui la province du Luxembourg belge. Quant au Limbourg concerné, il comporte la grande ville de Maastricht dont la position sur le cours de la Meuse, dont elle tire son nom, la rend d’importance vitale. Or, il ne faudrait pas penser à un souverain totalement isolé. Aux Pays-Bas, la population soutient largement Guillaume Ier, ulcérée de ces décisions qui lui retirent de vastes et riches espaces. Il ne s’agit donc pas du caprice d’un roi coupé des réalités et faisant la guerre contre l’avis du pays entier. En août 1831, soit un an après les événements révolutionnaires de Bruxelles, l’armée néerlandaise attaque donc la Belgique à peine née.

B) La « campagne des Dix jours »

La campagne militaire ne dure que dix jours. Si l’armée néerlandaise se comporte bien au feu, elle doit faire face à une intervention militaire française. En effet, Léopold, lucide sur les capacités de la toute nouvelle armée belge, a demandé de l’aide à Paris et Londres, aussitôt la nouvelle de l’attaque sue. Si les Britanniques n’ont pas envoyé de troupes, contrairement aux Français, cette présence des régiments des Orléans crée de nouvelles difficultés et embrouille une situation déjà passablement complexe. Louis-Philippe est en effet intervenu sans que la conférence encore en cours n’ait été informée, et le premier ministre britannique Palmerston s’offusque du fait que les troupes de la monarchie de Juillet aient franchi la frontière.

On retrouve là cette crainte d’une mainmise sur la Belgique évoquée dans l’introduction et dans le précédent article. Finalement, le roi des Français accepte de retirer ses hommes, mais une trêve est obtenue et Guillaume doit faire de même. Les puissances reviennent à la table des négociations pour trouver une solution plus durable aux affaires belges. Ces allers et retours entre épisodes guerriers et moments de négociations constituent un aspect central de la guerre d’indépendance qui est ici racontée.

III) Le dénouement final

A) La reprise des pourparlers

La trêve ramène les parties en présence dans les salons et palabres de la conférence de Londres, toujours en cours. Si le roi des Pays-Bas a dû retirer son armée sous la pression des puissances, celle-ci a montré qu’elle avait de réelles capacités militaires. Fort de cet atout, il se trouve en meilleure position que quelques mois auparavant. Les Belges, qui doivent leur salut à l’armée française et le savent, sont obligés de revoir leurs prétentions à la baisse, notamment territoriales. Ainsi, le Luxembourg et le Limbourg ne lui reviennent pas totalement comme espérés, mais seulement une partie. Les puissances décident que Maastricht demeure néerlandaise et que le reste du Grand-Duché soit toujours considéré comme une possession personnelle de Guillaume. A posteriori, le choix néerlandais des armes n’a donc pas été une si mauvaise solution que cela.

De plus, les conditions économiques et politiques ne sont pas non plus aussi favorables qu’espérées et la Belgique, si elle voit confirmée son indépendance, doit accepter de rester pour toujours un État neutre. C’est le début d’un statut particulier source de nombreuses discussions et polémiques jusqu’en 1914, et même après. Si la position néerlandaise est bien meilleure qu’avant la campagne des Dix Jours, le souverain des Pays-Bas n’est toutefois pas satisfait. Il refuse d’accepter toutes ces propositions, réunies dans un traité dit des XXIV articles et qui doit être signé par les deux États pour rentrer en vigueur. Les débats aussi sont houleux en Belgique, où une partie des décideurs voudrait continuer la lutte pour les deux territoires disputés. À la fin de l’année 1831, les assemblées belges nouvellement créées – la Constitution belge de 1830 crée un État libéral, au sens politique du terme – acceptent toutefois de signer.

B) Le siège d’Anvers

Reste à convaincre l’autre partie en présence, les Pays-Bas. Or, Guillaume a l’impression de vivre un véritable oukase et refuse de désarmer. Ses troupes occupent toujours Anvers et des forts sur l’Escaut, soumis à un blocus. Il ne veut pas admettre l’indépendance belge et traiter avec Léopold, en qui il ne voit pas un souverain. Alors que les boute-feux belges poussent encore à la conservation de la totalité du Limbourg et du Luxembourg, la conjonction des deux attitudes radicales pourrait déboucher sur une guerre européenne généralisée.

Londres veut éviter à tout prix cette éventualité et finit par se rallier à une solution de force mesurée : la prise de la citadelle d’Anvers pour forcer le roi des Pays-Bas à accepter les faits. Le siège victorieux est réalisé par les troupes françaises en novembre-décembre 1832, mais les autres fortifications ne sont pas concernées. Louis-Philippe en profite quand même pour montrer au monde que l’armée française sait encore se battre. Cela n’empêche pas que la situation diplomatique comme militaire reste passablement embrouillée. Nous parlons d’une armée étrangère intervenant dans un pays en formation pour en chasser une autre armée, le tout sous l’œil des puissances ! Malgré cela, les combats restent étonnamment limités aux opérations décidées contre la grande ville de Flandre. L’embrasement général, dont personne ne veut, n’a pas lieu. La situation n’est pas la même qu’au début du siècle suivant.

Le siège d’Anvers par Vernet, commande de prestige de Louis-Philippe pour Versailles. Deux de ses fils sont au premier plan, ce qui légitime leur pouvoir. Image du tableau libre de droits et hébergée sur Wikipédia.

Conclusion 

L’indépendance de la Belgique est un processus complexe, qui ne prend pas fin avec la révolution de 1830, puisqu’une vraie guerre avec la puissance tutélaire doit avoir lieu. Or, nous avons vu que celle-ci dure plusieurs années et les choses ne s’arrêtent pas là. Finalement, une convention signée en mai 1833 institue un statu quo appelé à durer. Les deux pays ne reprennent pas la guerre. Dans les années qui suivent, les opinions évoluent lentement et les tenants de la manière forte finissent par s’y rallier. Il faut tout de même attendre 1838 pour que Guillaume Ier se décide à signer le traité, chose faite l’année suivante à Londres. La Belgique voit enfin être confirmée légalement son indépendance, après près de dix ans de guerres et de passes d’armes diplomatiques. D’autres traités signés dans les décennies suivantes précisent la frontière et aboutissent à un cadre général respecté jusqu’à l’invasion allemande de la Belgique en 1914, alors que ce pays était garant de sa neutralité

Bibliographie sélective

La référence synthétique la plus scientifique et récente est l’indispensable Nouvelle histoire de Belgique. On pourra aussi se référer à l’étude du professeur Romain Yakemtchouk, qui analyse les choses sous l’angle franco-belge.

-WITTE (Els), Nouvelle histoire de Belgique. 1828-1847. La construction de la Belgique, Bruxelles, Le cri, 2017, 235 p.

-YAKEMTCHOUK (Romain), La Belgique et la France. Amitiés et rivalités, Paris, L’Harmattan, 2010, 297 p.

Cet article est la reprise et remise en forme de billets précédemment parus dans l’Antre du stratège

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