Un chef de l’État à la messe ? Précédents historiques depuis 1905

Révélée par La Croix le 13 septembre dernier (1), la nouvelle annonçant la participation du chef de l’État à la messe que célébrera le pape François à Marseille le 23 septembre prochain a fait réagir une partie de la classe politique. Selon le même article, certains députés du parti politique de gauche La France insoumise y voient par exemple une entorse flagrante aux règles de la laïcité, en vigueur depuis la loi de 1905. Celle-ci stipule dans son article 2 que La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (2).

L’esprit et la lettre des lois

Le chef de l’État étant président de ladite République, on peut en effet s’étonner de sa présence à un office du culte catholique. Toutefois, le but de ce billet est de rappeler que plusieurs précédents ont existé et que l’interprétation de la loi de 1905 est finalement fluctuante depuis son vote. Cela est notamment dû à son caractère assez court, toutes les situations possibles n’étant évidemment pas décrites. De plus, présence à une manifestation publique d’un culte ne signifie pas, légalement, reconnaissance et n’implique pas que des avantages soient conférés à cette religion plutôt qu’une autre du simple fait d’une apparition physique. Enfin, cette fameuse loi toujours citée organise la séparation de l’État et des Églises. Elle ne signifie par pour autant que les deux s’ignorent ou ne communiquent pas. Ainsi, à l’heure actuelle, s’il n’y a plus de ministère des cultes, le ministre de l’Intérieur est toujours en charge de ceux-ci, dialoguant avec leurs représentants, notamment pour organiser le respect des lois.  

Des lois laïques à la Seconde Guerre mondiale

En fait, les apparitions des chefs de l’État et de gouvernement dans des cérémonies religieuses dépendent beaucoup du contexte politique ambiant. La décision d’être présent, pas formellement interdite par la loi, peut être un choix politique lié à un contexte donné. Or, ces choix en disent long sur les rapports qu’entretiennent le monde profane et le monde sacré, rapports qui ont beaucoup évolué depuis le vote de la loi de 1905. Pendant les premières années qui la suivent, les relations entre la République et le culte catholique ne sont ainsi pas bonnes (les autres cultes acceptent plus facilement le texte). La mise en place de la laïcité et ses conséquences génèrent d’intenses conflits, comme la crise des inventaires des biens des églises. Jusqu’à la guerre de 1914, le conflit entre les deux parties est plutôt la règle, même si les catholiques français se sont globalement ralliés à la République. Ainsi, les présidents de la République et du Conseil, les ministres en général, évitent plutôt les ce qui a trait au religieux.

La Grande Guerre, à laquelle les Églises ont massivement participé, amène un changement de regard, devant le sacrifice des religieux au combat notamment. Même si des conflits existent encore après-guerre (maintien du concordat en Alsace, politique du Cartel des gauches…), l’heure est plutôt à la pacification. On voit ainsi du personnel politique travailler aux côtés de responsables religieux pour l’érection de l’ossuaire de Douaumont. À l’heure où l’on parle de « second ralliement des catholiques » et où la République cherche de nouveaux soutiens, le président de la République Gaston Doumergue, pourtant protestant et franc-maçon, préside même les fêtes johanniques d’Orléans en 1929 et assiste à la messe. C’était la première fois depuis 1905 qu’un chef de l’État faisait ainsi. À l’approche de la guerre de 1939-45, le soutien de l’Église est également recherché par l’État. Même si bien des questions demeurent en suspens, certains ministres et le Président du Conseil Paul Reynaud assistent ainsi à une messe en mai 1940, alors que la défaite est proche.

De 1945 à nos jours

Les précédents de 1929 et 1940 évoqués plus haut ne sont pas la seule occurrence à noter avant Emmanuel Macron. Ainsi, à la Libération de Paris, de Gaulle assiste à un Te Deum, à la Cathédrale Notre-Dame, ce que n’avait pas fait Clemenceau en 1918. Il s’agit toutefois d’un contexte très particulier de guerre sur le territoire français. Catholique pratiquant, le général n’en respecte pas moins, en dehors de ce moment exceptionnel, la laïcité dans le quotidien de son pouvoir, que ce soit en 1944-46 ou après 1958. Globalement, s’il continue à pratiquer, c’est plutôt en privé.

De Gaulle sortant de Notre-Dame de Paris après le Te Deum du 26 août 1944. Source de l’image en lien.

Par la suite, d’autres chefs de l’État sont ponctuellement vus à des cérémonies et célébrations religieuses, pas toujours chrétiennes d’ailleurs. Ainsi, François Mitterrand se rend-il à la synagogue pour marquer son soutien à la communauté juive, après les attentats de 1982. D’autres présidents de la République assistent à des messes catholiques, comme Giscard d’Estaing lors de la venue de Jean-Paul II en France (1980), et même l’agnostique François Hollande après l’assassinat du père Jacques Hamel en 2016. Ces épisodes sont liés à la venue d’un souverain pontife qui est aussi un chef d’État, ou à des cas de crise plus ou moins grave. La plupart n’ont pas de portée polémique et n’ont d’ailleurs pas soulevé de vague à leur époque. L’épisode à venir, hormis les critiques, cette fois nombreuses, ne semble pas vraiment différer des précédents. Peut-être que l’hostilité manifestée à cette occasion se dirige plus contre la personne qui occupe actuellement la fonction suprême que contre le principe même, puisqu’il y a eu de nombreux précédents, d’ailleurs pas tous cités.

Conclusion

Finalement, les choses sont plus compliquées qu’elles n’y paraissent, comme toujours. Au-delà d’un strict regard sur la lettre des textes, on retiendra plutôt que leur interprétation varie selon l’ambiance et la couleur politique de l’hôte de l’Élysée, ainsi que les réactions. La présence d’un chef de l’État à une cérémonie religieuse a eu lieu avant le 23 septembre à venir et n’est pas stricto sensu interdite. Toutefois, les épisodes évoqués sont aussi à rattacher à des situations qui sortent de l’ordinaire : guerre, attentat, ou la visite d’un prêtre un peu particulier, le pape. Cela leur donne un caractère d’exceptionnalité. Il ne s’agit pas de présence se répétant en public, de manière régulière, tous les dimanches par exemple, ce qui poserait d’autres questions. Certes, se positionner par rapport à un culte peut aussi constituer un choix, un message politique. À ce titre, la décision actuelle, comme d’autres précédemment, est commentée par l’opposition, qui est dans son droit de ne pas l’apprécier. Il reste à savoir ce que le président actuel met ou pas derrière cette présence.

Pour aller plus loin 

– ANCEAU Éric, Laïcité, un principe. De l’Antiquité au temps présent, Paris, Passé Composés, 2022, 382 p.

– « De Gaulle sortant de Notre-Dame le 26 août 1944, après la célébration du Te Deum de victoire », Enseigner de Gaulle, En ligne, consulté le 15/09/2023.

François Mitterrand à la synagogue, vidéo INA.

(1) https://www.la-croix.com/france/Emmanuel-Macron-messe-celebree-pape-Francois-deputes-LFI-protestent-2023-09-13-1201282564

(2) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749

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