Introduction
Des baffes aux Romains, des sangliers et de la cervoise, aux braies colorées et aux épées toujours sorties du fourreau, nos « ancêtres les Gaulois » seraient connus pour leurs capacités guerrières, leurs exploits de banquets et leur indiscipline. À partir de, là que dire de plus ? Finalement beaucoup plus de choses qu’il n’y paraît. En effet, loin des bandes dessinées et des films, par ailleurs souvent sympathiques, ceux qu’on appelle les Gaulois sont bien plus difficilement saisissables que dans des œuvres artistiques créées des millénaires après et souvent loin de la réalité historique. De plus, les récupérations de la Troisième République et du régime de Vichy de cet ensemble de peuples ont laissé de profondes traces dans la mémoire collective. Derrière les clichés bien connus de guerriers braillards, indisciplinés, aux cheveux longs et moustachus de la légende, ou devenus symboles d’une résistance « française » à un envahisseur « étranger » (les Romains), il devient finalement difficile de distinguer entre reconstruction mémorielle, anachronisme et histoire. Cet article veut tenter de le faire en partie, en expliquant la relation entre les Gaulois et la guerre, en prenant soin de les replacer dans leur contexte, de revenir sur leurs tactiques, leur armement et leur emploi même, oscillant entre affrontements locaux offensifs, défense, mais aussi mercenariat au loin.
I) Qui fait la guerre et où ?
A) Qui sont les Gaulois : des origines complexes
L’origine même des Gaulois et ce mot les désignant posent à eux seuls un premier grand problème, car l’étymologie n’en est pas clairement établie et il n’est pas aisé de les distinguer ou non d’un ensemble plus vaste nommé les Celtes. Il est toutefois couramment admis que les Gaulois sont un ensemble de peuples celtes. Ces derniers sont des semi-nomades qu’on commence à identifier aux alentours de 800 avant notre ère, même si leurs origines sont sans doute beaucoup plus anciennes et plongent jusqu’à la seconde moitié du IIe millénaire avant Jésus-Christ. Ils descendent sans doute d’un peuplement plus ancien très mal connu, indo-européen, sans qu’il soit possible d’en dire plus. Installés entre la mer Noire et les Alpes, les Celtes se sont beaucoup déplacés jusqu’à occuper une très large partie de l’Europe d’aujourd’hui jusqu’au IIe siècle avant notre ère, allant jusqu’en Écosse et Turquie actuelles. Parmi eux, un rameau va être peu à peu distingué des autres et prendre le nom de la terre qu’il occupe : la/les Gaule(s). Or, l’étymologie reste très obscure : d’où vient le mot latin de Gallia (Gaule) qui a fini par donner Galli (les Gaulois) ? Jean-Louis Brunaux, historien spécialiste des Gaulois, se demande s’il ne s’agit pas du nom d’un territoire situé entre l’Océan, la Seine, la Garonne et le Rhône (op. cit., p. 69) ou d’une confédération de peuples ayant habité ce lieu, toutefois, il y a d’autres interprétations et il n’est pas possible de trancher.
En effet, si les habitants de la Gaule se désignaient comme Celtes, et que les Grecs les appelaient ainsi (Keltoi), c’est bien le nom de « Gaulois » qu’il faut employer pour les désigner, car il a été consacré par l’usage et ne désigne pas tous les peuples Celtes. Toujours est-il que les Celtes qui conquièrent le nord de l’Italie à partir du IVe siècle avant JC nomment ce lieu Gallia, peut-être en reprenant un nom déjà existant évoqué plus haut, et ce sont les Romains, qui sont confrontés à eux, qui vont employer ce mot pour les désigner, et finir par l’imposer. Car conquêtes et affrontements il y a. Les Gaulois sont des combattants, et ce dossier se propose de revenir sur la question, en analysant les principaux éléments de cette nature guerrière. Nous nous situons alors que les Gaulois sont encore des peuples indépendants (il n’y a pas une nation gauloise au sens actuel, mais différents peuples partageant des caractéristiques communes) et non soumis à l’autorité romaine. Nous nous placerons donc essentiellement au moment de la conquête de César, sur un territoire qui correspondrait à peu près à la France, à la Suisse et à la Belgique actuelles, sans s’interdire de revenir en arrière dans la chronologie.
B) Les guerriers
Tout le monde ne fait pas la guerre chez les Gaulois. Elle est tout d’abord une affaire d’hommes libres : ces sociétés, comme les autres du bassin méditerranéen antique, pratiquent en effet l’esclavage. Or, les personnes réduites à la servitude ne combattent pas, sauf rares exceptions. De plus, tous ceux qui sont libres n’ont pas de fonctions guerrières. Comme beaucoup de peuples indo-européens, les Gaulois libres se répartissent en trois classes : ceux qui ont des fonctions sacrées, ceux qui se battent et ceux qui produisent. Si ce schéma n’est sans doute plus aussi figé à la fin de l’indépendance gauloise qu’aux siècles précédents (les activités des individus peuvent déborder du cadre, en plein mouvement d’ailleurs), il reste structurant pour comprendre leur fonctionnement. Il va d’ailleurs se retrouver sous une forme assez similaire après l’Antiquité, avec la formation des trois ordres de la société française (clergé, noblesse et tiers-état) et perdurer jusqu’en 1789, signe de sa force symbolique et pratique.
Les combattants sont donc des libres dont c’est la fonction précise, transmise de manière héréditaire. On les appelle « guerriers » et les Romains, les ramenant à ce qu’ils connaissent, les nomment « chevaliers » (equites). Ils ne recouvrent toutefois pas la même réalité que les chevaliers romains, ordre hiérarchiquement inférieur aux sénateurs, et somme toute différent. Néanmoins, nous savons que ce sont des gens assez riches car ils doivent payer leurs armes et leur équipement, de plus en plus chers. En effet, à partir du IIIe siècle avant notre ère, ces combattants utilisent de plus en plus le cheval, animal de grand prix et dont le harnachement augmente aussi les frais engagés. Toutefois, ces guerriers ont la possibilité d’accroître leurs biens par le pillage et le butin récolté dans les guerres et ils participent à l’extension du territoire contrôlé par leur peuple (voir III). De plus, leur position sociale est enviée car ils jouent un rôle politique majeur, notamment dans les prises de décision. Ils entretiennent de vastes réseaux de clientèle assurant leur position et qui sont financés par les richesses engrangées lors des guerres. Bien entendu, leur activité comporte le risque d’être blessé ou tué, ainsi que la contrainte d’être envoyé au combat à tout moment. Sont-ils alors comparables à des soldats de métier d’aujourd’hui ? Pas vraiment. Il n’y a pas de vraie armée en Gaule, de troupes permanentes avec casernes, unités constituées et règlements. Les guerriers le sont car ils ont hérité de ce statut, ils ne l’ont pas choisi. C’est une tradition, comme une exigence auxquelles on ne peut se dérober, car elles ont des implications civiques mais aussi religieuses.
C) Des guerriers mobiles et accompagnés
Cela ne veut pas non plus dire que les guerriers font tout et n’ont aucune liberté. Ils sont entourés d’une foule de serviteurs et autres servants d’armes qui gèrent l’intendance, l’entretien et l’emport de l’équipement. Il n’est pas fourni par l’État, dont les fonctions sont bien moindres que celles d’aujourd’hui, et les guerriers doivent s’en charger eux-mêmes, assistés de ces personnes souvent issues de leur clientèle. Le mot est à comprendre dans son sens antique : des pauvres (clients) nourris et protégés par un guerrier (le patron) auquel ils doivent un service. Il arrive d’ailleurs que ces clients soient engagés au combat en cas de besoin, preuve que la guerre n’est pas uniquement l’affaire des chevaliers. De plus, les guerriers-chevaliers ont une certaine liberté dans leurs activités. Quand leur peuple ne les requière pas et qu’il n’est pas en guerre, ils peuvent agir pour leur propre compte et vendre leurs services.
Les Gaulois sont en effet des mercenaires connus et réputés dans le monde antique. On les retrouve dans l’Égypte des Ptolémées, chez les Étrusques, en Sicile, en Macédoine et même au service d’autres peuples gaulois. Évidemment, les distances à parcourir peuvent les amener bien loin de leurs régions d’origine, et les contrats malhonnêtes à se révolter contre leur employeur pour se payer eux-mêmes. Ils ne sont pas l’équivalent des Suisses de la monarchie française du XVIIIe siècle. Après la présentation du cadre général dans lequel évoluent les Gaulois, nous sommes revenus sur les guerriers: qui fait la guerre chez les Gaulois et pourquoi ? Avant d’évoquer leurs techniques de combat et certains affrontements comme la guerre des Gaules, il paraît important de décrire leur armement et de manière plus générale leur équipement.
II) Matériels et tactiques de combat
A) Les armes
Nous l’avons vu, les guerriers gaulois paient leur équipement et celui des hommes dans leur clientèle. Ils sont entourés d’une multitude de servants d’armes, d’aides qu’il faut également fournir en armes et protections. Cela génère de grandes dépenses, surtout en l’absence de standardisation du matériel qui est bien postérieure (Louis XVI et Gribeauval en France !). Toutefois, les armes à proprement parler évoluent peu au cours des siècles. Ce sont essentiellement des lances, des piques, des épées et des armes d’hast dont la forme a peu varié entre leur conception à l’âge du bronze et la fin de l’indépendance des peuples gaulois. Toutefois, le métal utilisé n’est par la suite plus le bronze, mais le fer. Les Gaulois sont de bons artisans, et leurs productions sont assez réputées et reconnues.
Si nous évoquerons par la suite plus avant les tactiques de combat, il faut dès à présent indiquer que l’arme principale utilisée au combat est la lance, un peu à la manière des hoplites grecs. L’épée ne sert qu’ensuite, au plus fort du corps-à-corps, quand les armes longues ne sont plus utilisables et/ou brisées. Ces épées dont on a retrouvé des parties métalliques se sont allongées au cours des siècles et sont maintenues le long du corps grâce à un baudrier réputé dans le monde antique. À côté de cet armement du guerrier, ses clients et autres personnes qui gravitent autour utilisent des armes plus variées, et notamment l’arc. Il n’est donc pas inconnu des Gaulois, même si la qualité de l’équipement de ces hommes peut être moindre que celle des guerriers : certains n’ont que des instruments d’agriculture utilisés faute de mieux.
B) Les protections
Parallèlement, les Gaulois sont considérés pour une invention qu’on attribue souvent à tort au monde médiéval : la cotte de mailles, ensuite copiée par les Romains. Elle protège les cavaliers, les plus prestigieux des combattants. Faite de milliers d’anneaux de métal liés les uns aux autres, elle est moins lourde que les cuirasses imitées des Grecs et rapidement abandonnées par les Gaulois. L’homme à cheval complète ses protections par un très haut bouclier plat, également utilisable à pied. Il emploie aussi le casque, mais assez rarement finalement. Il faut donc se méfier des représentations du XIXe siècle, abondamment reprises par Uderzo et Goscinny, qui connaissaient leurs classiques.
En fait, et cela frappe, les Gaulois sont assez peu protégés au combat. Beaucoup, notamment les fantassins, combattent torse nu et même complètement nus pour certains. Ces peuples plus offensifs que défensifs procèdent peut-être ainsi pour avoir une plus grande aisance dans leurs mouvements vers l’ennemi, sans être gênés par trop de sangles et de vêtements. Les historiens et archéologues songent aussi à des explications relevant du domaine du religieux. La nudité, attestée chez de très rares autres peuples au cours de l’histoire, serait une question de croyances – mal connues – à respecter. Elle est aussi le moyen de faire peur à l’ennemi, confronté à une masse de guerrier nus, prompts aux manifestations sonores et tatoués. En effet, Michel Pastoureau rappelle l’usage de la guède chez les Celtes et les Germains, qui se couvrent le corps de bleu tiré de cette plante et ce pour effrayer leurs adversaires. De fait, Grecs et Romains associent cette couleur aux barbares et s’en méfient.
C) Des tactiques surtout offensives
Cela dit, quelles sont leurs manières de faire la guerre ? Jean-Louis Brunaux le rappelle très bien : le terme de « tactique » correspond mieux aux façons de combattre des Gaulois que celui de « stratégie ». La conception de plans et d’objectifs de campagne, une gestion assez rationnelle des moyens matériels et humains paraissent plus adaptés aux armées de Rome, sans, d’ailleurs, trop forcer le trait. Ce ne sont pas, dans tous les cas, des armées d’aujourd’hui. Malgré cela, dire que les Gaulois ne sont pas organisés du tout serait très réducteur. Certes, il n’y a pas de manuels de stratégie gaulois, l’équivalent des œuvres de Végèce ou de traités historiques comme ceux de Xénophon, notamment car ce peuple n’écrit pas, ou peu. En fait, si la réflexion n’est pas absente, au contraire, de leur mode de vie (mais c’est un autre sujet), elle ne se concrétise pas par la rédaction de longues considérations théoriques.
Les Gaulois sont plus empiriques, s’adaptant sans cesse aux champs de bataille et aux caractéristiques des armées qu’ils affrontent. On sait quand même leur propension à privilégier l’attaque, souvent désordonnée, furieuse et frontale. Néanmoins, avec le temps et au contact d’autres civilisations comme celle des Grecs, ils apprennent à positionner leurs troupes sur le terrain, à la façon des hoplites, et la manœuvre dite « de la tortue », bien connue du fait de son utilisation par Rome, vient peut-être d’eux. Ils n’avancent donc pas en une masse informe dans les derniers temps de leur indépendance. De plus, pour employer une expression anachronique, ils savent développer ce qu’on nommerait aujourd’hui le « combat interarmes ». C’est-à-dire en combinant les manœuvres et le choc de l’infanterie et ceux de la cavalerie, placée aux ailes et utilisant en partie des chars. On est donc loin de certains films. De plus, ces peuples savent aussi se défendre et se vendre à l’étranger, ils ne sont donc pas cantonnés dans un rôle offensif et des guerres perpétuelles entre eux.
III) Défenseurs, mercenaires et pilleurs
A) De piètres capacités défensives ?
Ce centrage sur l’attaque laisse peu de place à la défense, même s’il faut nuancer. Premièrement, les camps gaulois ne sont jamais pourvus de fortifications, alors que ceux des Romains le sont systématiquement ; cela étonne encore Jules César pendant la guerre des Gaules. De plus, les oppida, embryons de villes fortifiées qui apparaissent au IIe siècle avant JC, ne sont pas des citadelles ou de vraies fortifications comme les Longs Murs reliant Athènes au Pirée. Les remparts ne sont pas doublés de chemins de ronde et sont parfois beaucoup trop longs ce qui rend difficile leur défense car il faut disperser un grand nombre d’hommes sur leur tracé sans qu’ils puissent réellement riposter à l’ennemi la plupart du temps.

Toutefois, la conception des murailles n’est pas totalement ratée. Les Romains nomment ces remparts murus gallicus. Faits de pierres entassées dans des sortes de coffres en bois qui tiennent avec des pièces de métal, ils se révèlent plus d’une fois tout à fait aptes à supporter le tir des machines de siège romaines. César avoue lui-même avoir été confronté plusieurs fois à de sérieuses difficultés face à ce type de murs, certes également pour se valoriser (il est vainqueur). D’après lui :
non seulement une telle construction, formée de rangs alternatifs de poutres et de pierres, n’est point, à cause de cette variété même, désagréable à l’œil ; mais elle est encore d’une grande utilité pour la défense et la sûreté des villes ; car la pierre protège le mur contre l’incendie, et le bois contre le bélier ; et on ne peut renverser ni même entamer un enchaînement de poutres de quarante pieds de long, la plupart liées ensemble dans l’intérieur.
César, La guerre des Gaules, livre VII, traduction de 1865 (collection Nisard).
En fait, il semble que les derniers oppida soient mieux réalisés que leurs prédécesseurs et forcent notamment l’ennemi à parcourir une sorte de couloir sous le feu ennemi, cette fois possible, avant de pouvoir forcer ses défenses et d’entrer à l’intérieur. Il reste toutefois impossible de dire comment l’art militaire des Gaulois aurait évolué sans la conquête romaine.
B) Des mercenaires
Les Gaulois dépassent aussi le strict cadre géographique, d’ailleurs flou, de la Gaule. Ce sont des guerriers respectés dans le monde méditerranéen antique pour leurs capacités militaires. De plus, leurs tactiques de combat portées sur l’offensive en font de bons candidats pour des peuples disposés à se payer les services de troupes ne reculant pas devant le danger et désireuses de s’enrichir (voir ci-dessous). Ces raisons expliquent qu’ils soient recrutés comme mercenaires dans tout le bassin méditerranéen et ce dès les guerres entre Étrusques et Romains du Ve siècle avant JC, servant les premiers contre les seconds. On le retrouve par la suite jusque dans la lointaine Égypte des Lagides, ou dans les armées du Carthaginois Hannibal, en passant par la Grande Grèce.
Pour ce faire, ils passent de vrais contrats avec leurs employeurs, fixant à l’avance le montant de leur rémunération. Mieux vaut pour ceux qui les recrutent éviter les mauvaises surprises, les mercenaires étant nombreux, armés, et en capacité de ruiner champs et villes, de piller et de tuer la population des mauvais payeurs. Certains dirigeants recourent beaucoup à leurs services, comme Denys de Syracuse, tyran grec de Sicile opposé à Carthage. Toutefois, ce dernier prend soin de les mélanger à d’autres peuples comme des Ibères et des Thraces. Il y perd en coordination ce qu’il y gagne en reflux d’un risque de révolte de la part de peuples très différents et s’entendant mal entre eux. Généralement, les mercenaires Gaulois sont employés de manière frontale, perdant beaucoup d’hommes dans des chocs sanglants au sein de grandes batailles. Ils apprennent malgré cela à évoluer au sein de vraies armées et se nourrissent des contacts avec les autres peuples rencontrés, ramenant en Gaule certaines idées et expériences. On sait aussi que certains peuples gaulois n’hésitent pas à recruter d’autres Gaulois plus « spécialisés » qu’eux dans l’art de la guerre, ce qui en dit long sur le visage multiple de ces groupes humains, loin des clichés. Toute cette compétence ne disparaît pas avec la fin de l’indépendance gauloise : on retrouve des Gaulois du côté de César et les empereurs romains surent très bien utiliser leurs formidables capacités guerrières pour leurs conquêtes ultérieures. Du temps de leur liberté politique, le mercenariat joue également un grand rôle économique.
C) Les gains du pillage
La guerre occupe ainsi une place centrale chez les Gaulois en ce qu’elle permet d’engranger des bénéfices, notamment par le biais des pillages. Il ne se distinguent en cela pas de beaucoup de peuples non-Grecs et non-Romains, ces derniers n’hésitant d’ailleurs pas à piller eux aussi. Ce qui est différent des butins romains gagnés pendant des campagnes militaires assez clairement définies, poursuivant un but politique, est toutefois le fait que les Gaulois organisent des expéditions guerrières pour obtenir des denrées et des richesses qu’ils ne possèdent pas. Leur structure économique ne permet en effet pas d’avoir assez de biens manufacturés, ni même parfois de nourriture. Il faut donc l’obtenir par le commerce, mais, faute de biens à échanger, cela n’est pas suffisant. L’utilisation de la force est donc justifiée par ce manque : il leur faut aller chercher des biens, ou des biens à échanger, là où ils sont disponibles. Il s’agit aussi d’êtres humains, réduits en esclavage (puis vendus), pratique très répandue chez les peuples du bassin méditerranéen durant toute la période antique, qu’ils soient « barbares » ou non. Une sorte de cercle vicieux se met ensuite en place, car l’accès plutôt facile à ces ressources augmente en retour les appétits des peuples gaulois, et donc les pillages.
Pendant de longs siècles, qui correspondent en grande partie à l’âge du fer, il s’agit d’expéditions montées autour de ce but. Si certaines sont proches, d’autres sont plus ou moins lointaines des territoires gaulois (Italie, Macédoine, Grèce…) et nécessitent de vrais préparatifs. Il s’agit d’armées de milliers d’hommes s’emparant des biens de valeur, des troupeaux, faisant des captifs. Les troupes sont suivies de marchands leur achetant directement les richesses ainsi récupérées ! Si certains peuples comme les Belges pratiquent ce type d’opérations jusqu’à la conquête romaine (en Germanie), la plupart des Gaulois se vendent toutefois comme mercenaires auprès d’autres peuples à partir de la fin du Ve siècle avant JC. Les pillages interviennent alors au sein des opérations militaires et constituent souvent une part de leur rémunération. Les gains sont généralement considérables, les Gaulois étant d’excellents guerriers. Certains peuples comme les Gésates stoppent même leurs productions propres, devenues inutiles.
Conclusion
Finalement, la guerre est un aspect essentiel de compréhension des sociétés gauloises. Elle permet de saisir une partie de l’organisation de ces peuples, mais aussi d’autres aspects qui pourraient apparaître plus lointains, comme l’économie. Il reste toutefois difficile d’en appréhender certains contours, car les écrits disponibles sur eux ont été rédigés par d’autres peuples, souvent adversaires, et sont donc orientés. De plus, l’ombre portée de la conquête romaine et des réutilisations ultérieures gêne encore plus la compréhension des faits. Pourtant, si le vrai guerrier gaulois est sûrement loin de certaines récupérations d’aujourd’hui, celles-ci nous en apprennent beaucoup plus sur leurs auteurs et leurs préoccupations. Ainsi cet extrait de la chanson Nos pères les Gaulois, hymne des années 1980 du 92e Régiment d’infanterie français :
Nos pères les Gaulois
Ont dû en combats sanguinaires
Défendre la beauté, la liberté de notre terre
Nous jurons d’être forts et grands
Pour sauver le pays des Francs
Que les héros d’antan soient devant Dieu témoins
Une filiation est clairement faite entre Gaulois, Francs et Français, mélangeant au passage à peu près tout. Les premiers défendaient certes leurs territoires, mais celui-ci n’avait pas grand-chose à voir avec la France d’aujourd’hui. Même le paysage était très différent, beaucoup plus défriché qu’à des époques ultérieures. Il leur aurait aussi été difficile « d’être devant Dieu témoins », eux qui étaient alors païens, avant l’ère chrétienne, et même souvent encore jusqu’au Ve siècle et au-delà. On se dira, certes, qu’un chant militaire n’est pas un récit scientifique et on souhaitera seulement qu’il aide à l’esprit de corps de cette unité, tout en espérant que ses paroles, comme le reste inventé sur les Gaulois, ne soient pas prises pour argent comptant.
Bibliographie indicative
La recherche sur les Gaulois a beaucoup progressé ces dernières décennies grâce à des historiens comme Christian Goudineau et Jean-Louis Brunaux. J’ai utilisé sa dernière synthèse la plus à jour, d’un accès facile, bien écrite et fort intéressante :
- BRUNAUX Jean-Louis, Les Gaulois, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2020, 476 p.
Sur l’usage du bleu, voir les premières pages de l’excellent
- PASTOUREAU Michel, Bleu. Histoire d’une couleur, Paris, Seuil, coll. « Points histoire », 2014, 240 p.
Au sujet des murs :
– FICHTL Stephan, « Murus et pomerium : réflexions sur la fonction des remparts protohistoriques », Revue archéologique du Centre de la France [En ligne], Tome 44 | 2005, mis en ligne le 01 décembre 2006, consulté le 05 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/racf/515
Cet article est la reprise et la refonte de billets précédemment parus dans L’Antre du stratège
