Introduction
Bien connue en France, l’année 1848 est celle de la chute de la monarchie de Juillet et de l’avènement de la IIe République. Toutefois, elle est trop souvent prise isolément et sortie de son contexte européen, alors que cette période révolutionnaire est loin de se résumer à la seule année 1848 et à la France. Ainsi, il convient de la rattacher à un mouvement de fond plus global de montée des sentiments nationaux, de contestation des décisions du congrès de Vienne (1815). S’il culmine avec le « printemps des peuples », ce mouvement ne vient pas de nulle part. Des émeutes et autres révoltes ont lieu avant 1848 en Europe, et cette année ne clôt pas le cycle de révoltes et révolutions. Ainsi, l’année 1849 qui va nous intéresser voit un événement d’importance survenir à Rome : la proclamation d’une République. Si celle-ci est finalement éphémère (elle ne dure que quelques mois), elle est pourtant d’une grande importance dans l’histoire italienne et fait partie intégrante du Risorgimento, ce complexe processus d’unification de l’Italie dont les racines remontent à la fin du XVIIIe siècle et qui ne s’achève qu’après la Première Guerre mondiale, voire au-delà, si l’on prend en considération le devenir de la ville de Fiume. Avant de se pencher sur ces événements, il convient tout d’abord de revenir sur l’état de l’Italie en 1848.
I) L’Italie en 1848
A) Une expression géographique
En 1848, l’Italie est plus une expression géographique qu’une réalité politique. La Botte reste divisée en de nombreux États, après un début d’unité sous le contrôle de la France durant les guerres napoléoniennes. Cette tutelle française a eu toutefois pour conséquence (comme en Allemagne) un début de prise de conscience de l’existence de points communs entre tous les habitants de l’Italie, surtout de la part de certaines élites. Cette présence étrangère rejoint des préoccupations culturelles puis politiques proprement italiennes, et tout n’est pas à mettre au crédit plus ou moins volontaire de la France. Comme penseur d’influence, citons le révolutionnaire Giuseppe Mazzini, qu’on va retrouver dans l’affaire qui nous intéresse.
Toutefois, malgré des tentatives dans les années 1820 et 1830, l’idée d’unification n’est pas encore totalement mature ni présente dans l’esprit de tous les Italiens alors que le XIXe siècle arrive à sa moitié. De plus, sa traduction politique n’est qu’à peine entamée : au nord, le royaume de Lombardie-Vénétie est aux mains de l’Autriche, et deux duchés sous son influence subsistent encore (Modène et Parme). Plus au sud le grand-duché de Toscane et les États de l’Eglise font la séparation avec le royaume des Deux-Siciles, qui s’étend sur une grande partie de la Botte. Les souverains de ces États sont plutôt autoritaires. L’exception provient du plus septentrional Piémont-Sardaigne, dont le roi a adopté le Statuto en 1848, qui fait de lui un monarque plus constitutionnel que les autres, sans qu’il faille non plus exagérer ce processus. Le rôle de ce royaume dans l’unité italienne est bien connu à partir de cette date et surtout de 1859. Il ne doit pourtant pas faire oublier que le pape a longtemps été vu comme une potentielle solution et qu’une importante révolution a lieu dans ses États en 1849, ce que nous allons étudier.
B) Pie IX et ses réformes
La tension monte d’un cran dans toute la Botte en 1846-1847. Pendant ces années décisives, plusieurs souverains réagissent en partie et accordent de plus ou moins bonne grâce de nouveaux droits politiques, dont le nouveau pape Pie IX élu en 1846. Les États de l’Église sont alors gangrenés par la corruption et une administration des plus inefficaces. Par ses réformes, le souverain pontife entend surtout les moderniser pour assurer leur survie, et pas vraiment aller vers un régime parlementaire et/ou démocratique. Toutefois, ce faisant, il passe à tort pour un « pape libérateur » et même fédérateur. L’idée de rassembler les Italiens autour de sa personne ne paraît alors pas incongrue dans une époque où la catholicité partagée est un ferment d’unité. Elle devient bientôt un mouvement politique qui le dépasse.
Dès l’été 1846, des manifestations patriotiques éclatent dans les principales villes pontificales. Si certaines sont spontanées, d’autres sont contrôlées par des patriotes comme Mazzini, qui jugent l’occasion trop belle de mobiliser les Italiens pour ne pas la saisir. Ces manifestations noyautées par les patriotes prennent rapidement un tour antiautrichien et dépassent les frontières des États de l’Église, ce que n’avait pas souhaité le pape. Nourries à leur tour des autres révolutions de 1848, elles vont déboucher sur une série de troubles révolutionnaires majeurs.
C) Le printemps des peuples en Italie
Les événements qui secouent les États de l’Église en 1848-1849 et qui vont conduire à la proclamation d’une république romaine ne peuvent en effet pas être isolés du contexte italien et même européen, et doivent s’analyser à plusieurs échelles. Ainsi, l’année 1848 est révolutionnaire dans presque toute l’Europe et pas seulement dans la région de Rome. De plus, les différents épisodes révolutionnaires s’interpénètrent car les idées et les personnes circulent. Ils exercent donc une influence les uns sur les autres. Or, la tension qui monte tout au long de l’année 1847 éclate début 1848 dans toute l’Italie. Ainsi, dès janvier des grèves et des troubles secouent la grande ville de Milan, sous domination autrichienne. D’ampleur limités, ils ne sont toutefois pas uniques. Plus au sud, des appels à la révolte contre le pouvoir autoritaire des Bourbons de Naples fleurissent à Palerme, en Sicile, le même mois. Ils interviennent donc avant la chute des Orléans en France, qui est moins le moteur des révolutions de 1848, comme on le dit trop souvent, qu’un accélérateur. On le voit, les motivations diffèrent d’une région à l’autre de l’Italie, qui ne connaissent pas les mêmes problèmes.
Pourtant, c’est bien du royaume des Deux-Siciles que vient la vague proprement révolutionnaire et qui va imprimer sa marque aux autres. Les révolutionnaires réclament plus de droits politiques et cet exemple fait tache d’huile dans d’autres États italiens, notamment dans le royaume de Piémont-Sardaigne qui réagit et se libéralise en 1848. Plus puissant que les autres, il fait déjà figure de modèle pour certains patriotes du fait de cette force, de ses réformes et de l’adoption du drapeau tricolore. À la mi-mars, à l’heure où Vienne rentre à son tour en révolution (une partie de la population rejetant le néo-absolutisme et la présence du ministre Metternich au pouvoir depuis l’époque napoléonienne), l’Italie réagit à son tour, y voyant la possibilité de chasser les Habsbourg du nord de la péninsule, qu’ils occupent. Bientôt, ce qui va devenir une guerre ouverte va se répercuter sur le pouvoir du pape.
II) Vers une Révolution à Rome
A) Le pape ne s’engage pas contre l’Autriche
La situation passablement embrouillée décrite précédemment, faite de mouvements insurrectionnels et révolutionnaires se nourrissant les uns les autres, se complexifie encore un peu plus au printemps 1848 en Italie. Dans le sillage de cinq journées révolutionnaires antiautrichiennes à Milan (18-22 mars 1848), le roi du Piémont-Sardaigne déclare la guerre à l’Autriche. Le plus puissant État d’Italie souhaite profiter de la situation interne passablement dégradée dans l’empire d’Autriche, et du fait que son pouvoir est secoué dans le Nord de l’Italie. L’idée de l’unification autour de lui est en pleine progression.
Or, cette très longue introduction finit par nous ramener à Rome, sujet de ce dossier complexe qu’il faut comprendre à une échelle géographique plus large que les limites géographiques du patrimoine de Saint-Pierre. En effet, les États italiens n’emboîtent pas le pas du Piémont-Sardaigne d’un seul homme. Le pape refuse d’entrer en guerre contre l’Autriche, puissance catholique assez liée au Saint-Siège. Il craint aussi et surtout de renforcer les patriotes italiens, en favorisant un mouvement général vers l’unité italienne qui signifierait potentiellement la fin de ses États. Cette analyse n’est pas mauvaise, mais a pour conséquence à court terme d’effriter sa popularité née des timides réformes évoquées précédemment. De plus, des troubles politiques s’ajoutent à cette situation dégradée qui finit par déboucher sur la proclamation d’une république romaine.

B) Les événements de la mi-novembre 1848
Le « déclic », qui est plus un déclencheur qu’une cause profonde, survient avec l’assassinat du chef du gouvernement du Saint-Siège, le comte Rossi. Finalement assez modéré, sa position le fait détester à la fois des révolutionnaires et des tenants d’un pouvoir ferme du pape. Sa mort, après une véritable conjuration contre lui, le 15 novembre 1848 libère des forces révolutionnaires. Dès le lendemain, une foule hostile conduite par les patriotes italiens se masse devant le siège du pouvoir (le palais du Quirinal) et réclame des réformes, l’élection d’une assemblée destinée à doter le pays d’une constitution ainsi que la guerre contre l’Autriche.
La menace est très sérieuse, il ne s’agit pas de badauds rassemblés sans réel but. Le rôle joué par une minorité agissante de patriotes acquis aux idées de Mazzini, proches de Garibaldi et orientant les masses est essentiel. En fait, la situation est prérévolutionnaire et dès l’époque est vue comme dangereuse, car l’armée pontificale ne paraît pas disposée à s’engager contre la foule de manière unanime. Finalement, la garde suisse fait feu sur elle. Faisant honneur à sa réputation de fidélité, elle gagne du temps sans que cela ne règle la situation. En effet, le pape paraît d’abord céder aux exigences d’une partie de ses sujets rebelles, mais fuit en fait de Rome le 24 novembre 1848 et se réfugie chez les Bourbons de Naples. Bien qu’il y demande l’aide de puissances catholiques, il laisse aussi la Ville Éternelle derrière lui, ville où les patriotes vont se saisir de son absence.
C) La proclamation de la République romaine
La fuite du pape précipite le cours des choses, y compris en dehors de Rome. Alors que le souverain pontife appelle les puissances catholiques à son secours, des patriotes italiens se dirigent vers la Ville Éternelle, dont la Légion de Garibaldi, autre grand patriote. Jusque-là présente dans le Nord de l’Italie où ont lieu des combats contre l’Autriche, cette unité est acceptée non sans réticences par les nouvelles autorités romaines. Leur chef est déjà connu, a maintes fois bataillé, y compris lors d’un exil en Amérique, et est autant respecté que craint. L’opposition entre les militaires et les politiques se retrouve à nouveau. Ceux qui ont pris le pouvoir après le départ du pape ont besoin de lui, de ses hommes et de son aura… mais le cantonnent à bonne distance de la cité avec ses volontaires dont le nombre va croissant, atteignant mille hommes à la fin de l’hiver 1848-1849. Les civils craignent qu’il n’intervienne et ne joue un trop grand rôle dans le gouvernement qui se met en place.
Cela est possible car de longues semaines se passent pendant lesquelles les camps se jaugent. Le pape ne peut reprendre ses États par la force tout seul et les patriotes italiens réunis dans Rome n’ont pas encore d’institutions stables. Par ailleurs bien occupées dans le nord de la Péninsule ou ailleurs, les autres puissances ne sont elles non plus pas encore intervenues dans la partie centrale de l’Italie. À Rome même, une Assemblée constituante, dans laquelle on compte Garibaldi, est élue et convoquée, avec pour mission de définir la forme du pouvoir en place dans les États pontificaux. Le 10 février, c’est chose faite : les parlementaires décident solennellement d’abolir le pouvoir de la papauté et proclament la République Romaine.
Le choc est grand, qui met fin à un millénaire de pouvoir pontifical, et retentit dans tout le continent. Organisé en mars, le gouvernement de la nouvelle république fait appel au grand patriote Mazzini, arrivé depuis le début du mois dans la ville. Il va bientôt jouer le rôle de dirigeant principal de cet État naissant. Le moment que de nombreux hommes comme lui attendaient semble enfin arrivé. Plusieurs personnalités de premier plan se trouvent rassemblées dans Rome, mais ne peuvent toutefois créer le pays rêvé, laboratoire d’une Italie qu’ils veulent unifiée et sans souverain. Malgré des intentions généreuses en termes de libertés individuelles, ce pouvoir ne bénéficie pas du temps nécessaire pour mettre en place de vraies réformes. En effet, à l’instar de la Commune en 1871, il est d’emblée menacé sur le plan même de la survie et va devoir consacrer toute son attention et ses forces vives à sa défense.
III) L’intervention française et ses conséquences
A) Le prince-président et la Second République française interviennent
Nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, cette histoire de la République romaine de 1849 doit se comprendre à une autre échelle que celle de l’unique Latium, et même de l’Italie. Ainsi, la France en est l’un des acteurs principaux ce qui, a priori, peut paraître incongru et nécessite une certaine explication. Il faut là revenir sur les événements révolutionnaires français d’un an plus tôt, ayant conduit à la fin de la monarchie de Juillet et à l’établissement d’une seconde République. D’abord libérale (dans le sens politique) et à gauche, elle prend un tour autrement plus conservateur à l’été 1848 après les « Journées de Juin ». L’élection de décembre 1848 amène au pouvoir Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier plébiscité par les électeurs, mais boudé par les parlementaires.
Ceux-ci siègent dans une Assemblée plutôt hostile au prince-président, et partagée entre divers courants, même si les conservateurs dominent. Or, si ne rien faire dans ce qui apparaît comme une crise européenne majeure semble dommageable à la France et à son prestige, c’est sur la nature de l’intervention que la Chambre se divise. Les conservateurs souhaiteraient plutôt un soutien au pape, comme l’Autriche est en train de l’organiser, alors que la gauche républicaine penche du côté de la jeune République Romaine. Tentant un compromis, le président du conseil des ministres Odilon Barrot, un modéré, propose l’envoi d’un corps expéditionnaire dont la mission sera de se positionner entre les républicains italiens et les troupes autrichiennes arrivant du Nord. Cette solution pourtant bancale est votée sans trop de difficultés et 14.000 hommes embarquent pour Rome. Non sans rappeler de futures expéditions du Second Empire, largement improvisées et floues quant à leurs objectifs, cette arrivée des troupes françaises en Italie débute plutôt mal. Le but de la présence des soldats de la Seconde République n’est pas très clair, et ces hommes sont accueillis par des tirs italiens lorsqu’ils s’avancent vers Rome. Le président de la République décide alors de court-circuiter son gouvernement et leur ordonne clairement d’intervenir en faveur du pape et de rétablir l’ordre précédent.
C’est une décision difficile à expliquer, car elle émane d’un homme peu croyant et ayant lui-même combattu en Italie, pour son unité et contre le pape, près de vingt ans plus tôt. En fait, il faut plus y voir une partition politique qu’un changement personnel de croyances. Louis-Napoléon Bonaparte doit donner des gages à la France catholique et conservatrice, qui a contribué à l’élire, car elle voit en lui un garant de l’ordre. En conflit avec l’Assemblée qui n’aime pas qu’un Bonaparte soit au pouvoir, soit car les députés sont républicains, soit car ils sont monarchistes, il essaie de tirer son épingle du jeu avec sa propre politique. De plus, s’il soutient le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce n’est pas forcément sur un temps court, l’objectif peut être atteint différemment, plus lentement, par des voies détournées. Soutenir pour le moment le pape et penser à d’autres objectifs en parallèle, pour plus tard, n’est pas incompatible dans son esprit. Enfin, en agissant ainsi, il permet de sortir du flou initial et se présente comme un chef d’État ayant pris une décision ferme, capable de redonner du prestige à une France assez isolée sur la scène internationale. Il s’agit donc d’un entrelacs complexe où les différentes raisons se mêlent et se complètent plutôt que s’opposent.
B) Les premiers affrontements et le début du siège
Après un premier échec devant Rome, les troupes françaises ayant été accueillies par des tirs hostiles et ayant dû retraiter, et l’intervention de Louis-Napoléon Bonaparte, les forces républicaines mettent la ville en état de défense. Elles disposent de 18.000 hommes dans tout le territoire pontifical à défendre, qui excède Rome et est menacé par deux autres puissances voulant rétablir le pape : l’Autriche et le Royaume de Naples. Il s’agit d’une position assez défavorable. Mazzini lève donc des volontaires et rappelle une partie troupes déjà disponibles au-dehors de Rome dans la capitale, notamment les hommes de Garibaldi. Ces derniers s’installent sur la stratégique colline du Janicule (au sud-ouest), dont la position commande une entrée possible de la ville et dont la possession autoriserait les Français à y installer des canons pour bombarder la cité. Les chefs républicains savent que la place est difficile à défendre. S’ils ont décidé d’y concentrer leurs efforts, ils ne disposent que d’environ 8000 hommes. De plus, les murailles antiques (le mur d’Aurélien) sont en très mauvais état et les troupes à leur disposition ne s’entendent pas forcément entre elles. Les bouillants garibaldiens, vétérans de plusieurs combats, côtoient de fraîches recrues du Latium et d’anciens soldats du pape. Les chefs ont de forts caractères qui, à plusieurs reprises s’opposent. En face, les soldats français sont professionnels et la chaîne hiérarchique est plus stricte.
Mazzini et son gouvernement sont toutefois très actifs pour compenser leurs faiblesses. Ils refusent de rester collés aux murs et décident de jouer la carte de la mobilité, notamment en envoyant des unités harceler et diviser les troupes françaises. Cette stratégie est d’ailleurs payée de succès. Les premiers affrontements tournent à l’avantage des patriotes italiens. Si Oudinot, le commandant français, a mis en place un réseau de renseignement efficace et qu’il connaît plutôt bien la physionomie des défenses romaines, il est trompé par ses informateurs : il croit qu’au premier coup de feu, il sera accueilli en libérateur. En fait, malgré leurs divisions, ses adversaires veulent se battre. Il met en marche ses hommes dans la nuit du 29 au 30 avril. Comme quelques semaines plus tôt, la croyance en une promenade militaire s’avère fausse : attaquant les murs du Vatican à l’ouest de la ville avec 5500 hommes le 30 avril 1849, il est repoussé. Les Républicains ne se sont pas égaillés et lui ont opposé un feu efficace. Heureusement pour lui, il n’est pas poursuivi dans sa retraite par les Romains, qui sont en désaccord à ce sujet et doivent aussi faire face aux Autrichiens au Nord et aux Napolitains au sud. Cette situation délicate pour eux lui permet de gagner un temps précieux pour se réorganiser et prévoir un véritable siège de la ville.
Sur le terrain, Français et Romains signent une trêve après les premières échauffourées, qui doit courir jusqu’au 4 juin et qui permet aux deux parties de gagner du temps sans que personne ne soit vraiment dupe. Oudinot attend des renforts, d’autant plus certains que des élections législatives ont amené au pouvoir une majorité conservatrice en France, le fameux « parti de l’Ordre » favorable à la poursuite des opérations. De leur côté, les assiégés souhaitent gagner du temps pour se reporter – avec succès – contre l’armée napolitaine venant du sud. Vaincue, mais non détruite, elle retraite et donne un peu d’air aux Romains, même si le corps expéditionnaire français se renforce dans l’intervalle. Des négociations sont bien ouvertes entre Français et Italiens, mais elles ne sont qu’un leurre qui permet au commandement de se réorganiser et de voir arriver 15.000 hommes en renfort, par voie maritime, ce que les Romains ne peuvent empêcher.
C) Les opérations de siège et la fin des combats
Les Français ont à leur disposition un bon matériel de siège et peuvent espérer des succès futurs. Oudinot ne respecte d’ailleurs par sa parole et rompt la trêve dès la nuit du 2 au 3 juin, donnant l’assaut dans le secteur de la porte San Pancrazio, au sud de la ville. Il bénéficie ainsi de l’effet de surprise, les défenseurs étant en train de se reposer au moment de l’attaque. De plus, Mazzini et Garibaldi s’opposent de plus en plus quant à l’orientation générale à donner à la défense de Rome, le second refusant de s’y laisser enfermer, le premier désirant un sacrifice qui servirait d’exemple à toute l’Italie. Ces dissensions au sommet s’effacent un temps quand les combats reprennent, mais nuisent à la cohérence de l’ensemble. Pour l’heure, les premiers assauts tournent à l’avantage des Français. Oudinot est parvenu à faire ouvrir une brèche dans les remparts de la ville, à l’explosif, et ses troupes s’enfoncent dans la béance. Si les contre-attaques des Italiens sont vives et difficilement repoussées, le corps expéditionnaire réussit à ne pas être rejeté en deçà des murs. La position conquise, lui permet d’ailleurs d’y installer son artillerie pour bombarder le reste de la ville. Un siège méthodique de Rome commence, qui ne paraît pas devoir s’arrêter. Si certains Italiens espèrent qu’un changement de majorité en France remette en cause le bien-fondé de l’intervention, leur espoir est déçu : les éléments les plus à gauche de l’Assemblée et proches d’eux ne parviennent pas à prendre le pouvoir mi-juin. À la fin du mois, à Paris, l’armée commandée par Cavaignac écrase une révolte plus généralisée. Aucun secours ne vient donc de ce côté-là et les opérations se poursuivent.
Pendant les premiers jours, l’essentiel des actions se concentre autour de quelques domaines : un puissant bombardement français, qui touche le cœur de Rome, des coups de mains de petits groupes d’Italiens, des ratissages français dans les campagnes environnantes, pour affamer et isoler la ville. Garibaldi comprend que cette stratégie ne peut qu’épuiser les républicains romains et décide d’une grande sortie le 10 juin, pour rejeter Oudinot et reprendre l’initiative. Or, c’est un échec complet. Ses troupes sont repoussées et les Français en profitent pour s’avancer plus profondément dans Rome. Par la suite, le Niçois refuse une levée en masse des Romains proposée par Mazzini, pour éviter un massacre et le mois de juin se passe dans une grande dissension entre les deux hommes, qui ne permet pas de repousser efficacement les troupes françaises. Finalement, cette lutte intestine est très dommageable à l’effort de guerre italien. D’importantes tentatives de contre-offensives sérieusement préparées ne peuvent aboutir et l’initiative passe définitivement du côté français.
Oudinot lance l’attaque générale et finale le 30 juin 1849, qui conduit le gouvernement républicain romain à se rallier enfin à la solution préconisée par Garibaldi. Soit celle d’une sortie en masse de la ville puis d’une dispersion dans les provinces avoisinantes pour y poursuivre la révolution. Alors que les Français rentrent dans Rome, quelques milliers de volontaires parviennent à s’échapper, dont Mazzini et Garibaldi. La République romaine n’aura donc vécu que quelques mois, et ceux-ci n’auront pas été assez suffisants pour promouvoir le nouveau modèle politique prévu par ses dirigeants. Divisés, vaincus par des forces plus nombreuses, mieux entraînées et équipées, le contraire, vu le contexte de 1848-49 eût été improbable, malgré les ambiguïtés de la Seconde République française. Quelques mois après cette défaite, le pape se réinstalle dans sa ville et met rapidement fin à toutes les expériences libérales qu’il avait pu tenter au début de son pontificat. Malgré cela, cette courte République aura été un modèle pour de nombreuses générations d’Italiens et les conséquences de cette aventure dépassent la Botte, tant sur le court que sur le long terme.

Conclusion
À court terme, la réaction, dans l’acception de l’époque, c’est-à-dire qui agit dans un sens contraire au régime qui l’a précédé, semble triompher. Autriche, Naples et France ont mis fin à plusieurs mouvements révolutionnaires en Italie et les pouvoirs précédents ont été réinstallés. Garibaldi et ses hommes sortis de Rome se lancent dans une longue débandade à travers la péninsule, qui se termine par un second exil pour lui, et la mort de son épouse en chemin, alors que Venise révoltée qu’ils voulaient rallier est réprimée par l’Autriche. Rome, elle, reste sous occupation française partielle jusqu’à la fin du Second Empire ou presque. Le prince-président devenu empereur, malgré ses sympathies pour la cause italienne et son engagement réel en 1859 et au-delà, a en effet besoin du soutien des catholiques français dont une partie soutient le pape (ultramontanisme) et sa possession de territoires. Alors que le Risorgimento s’accomplit, cette présence, entachée d’épisodes douloureux comme le combat de Mentana (1867) devient une pomme de discorde entre France et Italie, jusqu’au retrait définitif français du fait de la guerre de 1870.
Bibliographie indicative :
– MILZA (Pierre), Garibaldi, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2014, 731 p.
– PÉCOUT (Gilles), Naissance de l’Italie contemporaine. 1770-1922, Paris, Armand Colin, 2004, 407 p.
– VILLARI (Lucio), Bella e perduta. L’Italia del Risorgimento, Roma-Bari, Laterza, 2009, 345 p.
Cet article est la reprise de billets inachevés précédemment publiés sur l’Antre du stratège et ici terminés
